LA LAICITE AU CAMEROUN FRUIT D’UNE LONGUE IMPREPARATION

Comme tous les pays modernes, le Cameroun a joui de la laïcité comme d’un statut de civilisation et de progrès, d’autant plus que, dans sa partie francophone tout au moins, le Cameroun cueille la laïcité tout droit de Napoléon Bonaparte, et surtout du code français de 1905. Ce code lui-même est l’aboutissement d’une histoire qui va du cesaro-papisme, en passant par les églises nationales ou nationalistes, jusqu’à l’avènement des démocraties, entendues comme l’antipode des royautés en Occident. C’est pourquoi la laïcité au Cameroun est une notion difficile à cerner, voire mal cernée.

 

  1. Aboutissement de la laïcité en occident
  1. l’église primitive

Je voudrais partir d’un repère, Joachim de Flore, un prêtre calabrais, né vers 1130 ou 1135, mort en 1202. Il marque pour moi la grande transition entre l’eschatologie chrétienne et l’horizon terrestre de l’achèvement de l’histoire ou les « temps de la fin ». En effet, Saint Paul et le christianisme ont voulu expliquer le salut de l’homme comme étant lié au retour du Christ. La théologie appelle ce retour deux noms ou deux temps, la parousie et l’eschatologie, sans que l’ordre chronologique soit important. (La parousie est l’apparition du Christ en gloire dans les nuées ; l’eschatologie ou l’apocalypse est l’embrasement ou le renouvellement de tout le créé avant et après la parousie). Ce retour du christ n’a pas de délai ; aussi le chrétien doit-il s’y préparer par des actions de chaque jour. Celles-ci devraient refléter sa foi et son expérience chrétienne.

Mais Saint Paul, à la suite de l’Ancien Testament, ne précise que le caractère soudain de ce retour du Christ en gloire. Et pour ne pas être surpris, le chrétien doit chaque jour observer les commandements de Dieu ; toute sa vie doit être orientée vers l’accomplissement des devoirs inhérents au baptême. La vie chrétienne, dès ce moment en occident, sortira du cycle d’Empédocle ou de Platon (alternance de la haine et de l’amour, de la construction et de la destruction…), pour entrer dans un mouvement linéaire, voire spiroïdal, qui porte le chrétien occidental vers une rencontre personnelle avec un ami et un Juge universel, Jésus Christ.

L’histoire en occident prend donc un sens et une direction à partir du christianisme. Chaque instant comme chaque action conduisent au jugement ou à la condamnation ; le temps chrétien devient une progression. En effet, plus on avance dans le temps plus on s’approche de l’instant dont parle Saint Paul dans ses lettres aux corinthiens (1Cor. 14,51 et SS) et aux théssalonissiens (1 Thess. 4,16 et SS). Ce progrès deviendra lui-même un dévoilement, une révélation.

  1. Le moyen-âge

Au 12ème siècle, Joachim de Flore reprend alors cette expérience chrétienne, et l’oriente en vue d’une vie à la fois terrestre et ouverte au salut.

Pour simplifier, Joachim de Flore oppose deux interprétations de L’Ecriture Sainte : l’interprétation littérale et l’interprétation spiritualisée.

L’interprétation littérale ne consacre pas à la dimension spirituelle toute l’attention qu’elle mérite. Pour Joachim de Flore, moine cistercien qui va devenir ermite pour se rendre plus apte au salut, l’Eglise n’est pas attentive à l’existence matérielle de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Ils sont l’anamnèse de l’action de Dieu le père, pour l’Ancien Testament et de l’action du fils pour le Nouveau Testament. Il doit y avoir une anamnèse de l’action de l’esprit-saint, car l’histoire du salut n’est pas encore achevée. Cette histoire comporte donc une dimension prophétique, et donc une anamnèse du futur.

Et pour faire correspondre cette valorisation temporelle à l’action et à la tension vers le futur, Joachim de Flore retient, contre une répartition christocentrique du temps, une répartition trinitaire ou centrée sur la Sainte Trinité. Aussi y a –t-il un « aetas » ou « ère » du Père pui une « ère » du Fils et une « ère » du Saint-Esprit. Mais cette répartition des temps n’est pas à comprendre de manière diachronique. Elle est plutôt la révélation de la permanence de Dieu. La répartition joachimienne permet le dévoilement de l’origine et du destin des événements qui constituent l’histoire, depuis la création jusqu’à la parousie.

Si l’on considère que l’ère du Père était l’ère de la loi, et que les hommes y vivaient en esclavage, ou qu’ils avaient peur du châtiment, l’ère du Fils cependant n’est pas achevée avec l’ascension de Jésus. Cette ère se continue jusqu’à l’époque des premiers moines bénédictins au 4eme siècle. Mais cette deuxième ère reste ouverte ; les hommes y vivaient sous la loi du Fils et les événements qui frappent l’Eglise elle-même pendant le temps de sa mission ne sont qu’une annonce de l’ère qui va arriver, l’ère du Saint-Esprit.

Joachim voudrait davantage voir l’Eglise sortir des querelles relatives à son interprétation littérale des Ecritures. Or cette Eglise est ancrée dans des querelles du cesaro-papisme et des successions. Entre l’empereur ou le roi et le pape, qui a la primauté sur l’autre ?

En se basant sur l’interprétation littérale de Mt. 16, 17 et ss1, la papauté s’approprie le « pouvoir des clés », et estime que c’est à elle que Jésus le Fils du Père a laisse la gestion du monde en attendant son retour. Le pape a donc le pouvoir, (puisqu’investi des trois pouvoirs spirituel, temporel et éternel) de faire et de défaire des rois et des empereurs ; en plus du pouvoir de nommer les évêques et de conférer les indulgences.

Les 12ème et 13ème siècles en portent des marques visibles dans la querelle franciscaine à propos de la pauvreté du christ. Cette querelle de façade qui oppose les franciscains entre eux, jusqu’aux dénominations actuelles (de « chaussés » et de « déchaussés »), n’est que la face visible d’un malaise plus profond. Et les Fraticelles et les Dolciniens se montrent d’autant plus zélés qu’ils seront nombreux à soutenir la pauvreté totale et personnelle du Christ ; ils verront venir à leur rescousse la plupart du temps les rois et les empereurs déchus, dont le plus connu est Louis (Ludwig) de Bavière au 13eme siècle… Et si le Pape tranche en faveur de la pauvreté « spirituelle » du Christ ? « L’Europe s’est embrasée au nom de la même interprétation littérale des Ecritures, L’Eglise va organiser les croisades…..

Las des querelles, Joachim de flore entend organiser une reforme interne à l’Eglise,  et il s’agira donc pour lui, de continuer, après l’interprétation littérale, la quête du salut par une interprétation spirituelle.

Joachim de flore souhaite alors orienter l’Eglise dans une marche vers la pentecôte finale. C’est pourquoi il va insister, en parlant du temps qui nous reste jusqu’à la parousie, sur l’ère de l’esprit-saint. De cette ère, nous avons un écho dans les attitudes respectives de

L’idéalisme allemand et dans la philosophie de l’Europe industrielle du 19eme siècle.

Cependant, la 3eme ère ou l’ère de l’esprit saint sera où les hommes croyants passeront du stade de « fils » à celui des « amis », conformément à la promesse de Jésus en jean (15,15). Ce sera l’ère de la surabondance de la grâce.

À dessein, je ne m’attarderai pas sur les théories d’Hegel et de Kant ; car elles n’ajoutent rien de tout à fait nouveau au point de vue de Joachim de flore. Davantage, ces théories, par leurs développements ultérieurs, donnent raison que 4eme concile du Latran qui condamna en novembre 1215 la postérité « idéologique » de Joachim de flore, tout en laissant à l’Eglise catholique la possibilité de regarder comme un « bienheureux » Joachim de flore lui-même.

Dans la postérité  philosophique de l’occident, la 3eme ère va donner naissance à beaucoup de conjectures. Chez Hegel, la 3eme ère de Joachim de flore va devenir l’ « esprit libre » ou « religion manifeste », ou d’essence « catholique », comme chez Novalis.  Il s’agit de la fin de l’autorité de la « lettre » sur l’esprit.

Chez Kant, notamment dans la religion dans les limites de la simple raison, la 3eme ère de Joachim de flore va voir l’éclosion d’une véritable « église universelle » ou « invisible », dépouillée de tous les dogmes et de toutes les hiérarchies (extérieurs ou historiques). La 3eme ère de l’Eglise « invisible », basée sur la bonne conduite.

Mais, c’est pascal qui va illustrer à merveille le passage de la première ou de la deuxième ère Joachimienne à la troisième, (dans la modernité philosophique).

Pour Nietzsche par exemple, le pari2 de Pascal comporte une transformation hédoniste, c'est-à-dire une démonstration par plaisir d’une « vérité » soutenue naguère par la force ou par la crainte.

Dans le pari, Pascal quitte avec son époque chrétienne les ères anciennes ou précédentes de la théorie de Joachim de Flore. Pascal retrouve les libertins et les sceptiques dans le « jeu » (de cartes). Le christianisme décrit dans le pari de Pascal, une certaine dégénérance. Le « jeu » des libertins – que Pascal et le christianisme reconnaissent maintenant comme leur – permet de situer Pascal dans l’aventure historique du christianisme. Des deux premières époques du Christianisme de Joachim de Flore, Le Pascal de Nietzsche ne retient qu’un aspect : la religion de la terreur ou de la peur. Puis Nietzsche parlera ensuite du christianisme opiacé, en opposant un premier christianisme, celui de la force. L’autre qui vient supplanter ce premier christianisme de la ‘’faiblesse’’.

Le premier Christianisme est « terroriste » il consiste à effrayer les croyants et les non- croyants (« si vous mourrez sans adorer le vrai principe, vous êtes perdus »3) ; dans la phase du pari, le christianisme est hédoniste » ; il veut plaire, aussi retrouve-t-il le libertin sur son terrain de jeu de celui de sa logique.

En Occident, la sécularisation ou la modernité est la conséquence d’un affaiblissement du Dieu de la terreur de l’Ancien testament. Pour un auteur comme G. VATTIMO, l’ère du Saint Esprit annoncé par Joachim de Flore court depuis longtemps, mais cette ère est caractérisée par la pensée « débolista », la pensée d’un Dieu affaibli. C’est ce Dieu là qui a été présenté au XIX à tout le continent africain et au Cameroun en particulier

Le Christianisme occidental qui arrive en Afrique est déjà lui-même problématique. Son Dieu, va- t’il concurrencer ou supplanter le paganisme ou les dieux locaux ?

  1. La pensée « débolista » en France depuis la Révolution française

La levée des boucliers en France au XVII ème siècle n’a pas épargné l’église, qui pourtant a travaillé à christianiser le monde. On dirait que l’avancée du christianisme ; ou encore la christianisation du monde a fini par moderniser le christianisme.

La révolution française et ses conséquences ne sont que la victime d’un univers en conflit. Si la constituante vote la nationalisation des biens du clergé français (1789), et par la constitution civile du clergé (1790) oblige l’église de France à élire ses évêques, c’est que le concordat de 1516 est aboli.

En 1792, les mariages civils et religieux sont dissociés ; nous sommes, comme dit Jaurès, au « commencement d’un combat ». Napoléon Bonaparte achève ce premier parcourt par le Code Civile de mars 1804.

En 1808, Napoléon Ier naguère allié à l’Eglise Catholique, occupe les états pontificaux et prend Rome.

Malgré  la chute de l’équipe de napoléon, la France (notamment) venait de s’engager dans une voie qui ira en se complexifiant. La politique anticléricale des gouvernements qui vont se succéder en France n’aura plus de cesse. Le concordat de 1801, signé sous l’empire de Bonaparte sera attaqué de plus en plus. Tout cet univers croque sous l’aspect de la révolution du repos dominical, la suppression du serment religieux devant les tribunaux, la neutralité de l’enseignement public en matière de religion, de philosophie. Les locaux qui abritent les institutions juridiques et scolaires sont laïcs et laïcisés.

En 1884, la loi de Naguet supprime les prières publiques aux sessions du parlement.

Entre 1880 et 1905, les rapports entre l’Eglise et l’Etat, en France, s’oriente vers une rupture, sur la demande expresse des gouvernements républicains. Ce sont deux visions du monde. Le Pape Léon XIII, dans l’Encyclique Rerum Novarum…

Les congrégations religieuses ne sont plus autorisées d’enseigner à la jeunesse masculine, la troisième république abolit le budget des cultes. La loi de Waldeck-Rousseau veut restaurer la présence de l’Etat. Aussi l’Etat se montrera t’il interventionniste. La loi sur la création des associations culturelles oblige les congrégations religieuses à se faire connaître par la loi, mais elles pouvaient être dissoutes par un simple décret du Préfet.

Les républicains se serviront de cette loi pour interdire les congrégations gênantes ou trop influente (auprès de la jeunesse) ; ce sera le lieu et la période de tous les excès, jusqu’à l’interdiction des réunions sans déclaration préalable, l’interdiction de sommer les religieux ou les processions.

Le 30 mai 1904, la chambre des députés vote en faveur des relations diplomatiques avec le Vatican… En décembre 1905, le texte de la séparation entre les Eglises et l’Etat est adopté par le Sénat français e promulgué par le Président de la république (Maurice Rouvier). La loi affirme en principe la mentalité de l’Etat dans les affaires religieuses ; ce qui implique la fin des cultes et subventionnés par le budget de l’Etat français. En théorie, il est concédé à l’individu la liberté de conscience, et aux collectivités la liberté de pratiquer n’importe quelle religion. La loi de séparation fait des églises – aux yeux de l’Etat – des associations de droit privé.

Cependant, la loi de séparation de pouvoir est condamnée en 1906 par le pape Pie X, d’autant plus qu’elle comporte une dimension relative à la « confiscation » des biens de l’Eglise, et même qu’elle procède à une spoliation de celle-ci.

La France sera passée par bien d’étapes dans ce conflit de légitimité dont le monde francophone porte encore des marques.

Si le pays de Nicolas Sarkozy a rétabli les relations diplomatiques avec la Saint –Siège en 1924, la constitution de 1946 dispose en outre que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous ses citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

C’est la première et la 2ème guerre mondiales qui ont rassemblé les fractions de la France républicaine et laïque : « l’union sacré » remet ensemble –sous la bannière tricolore les « frères ennemis ». Le gouvernement décide de transférer au Panthéon de Paris, le cœur de Gambetta, illustre fondateur de la république, et d’honorer le souvenir de Jeanne d’Arc.

La conséquence de la pensée débolista s’extériorise en Occident sous le pontificat de Léon XIII par l’encyclique Rerum Novarum. Cette encyclique tranche aussi le débat entre le soutien à donner aux monarchies occidentales face à la montée des démocraties.

Le Pape Léon XIII ne tranche pas la question, mais opte pour une solution au dessus des parties.

Dans le roman d’André Gide intitulé Les Caves du Vatican, le personnage d’Amédée Fleurissoire se trouve au cœur de ce débat. La révolution de 1848 en Italie avait déjà dépouillé le pape de ses Etats pontificaux. Napoléon Bonaparte de son côté avait déjà poussé plus loin le renversement du pouvoir temporel de l’Eglise.

L’affaiblissement du Christianisme en Occident ira croissant, jusqu’au décret de 1905 en France, qui annonce la séparation des églises et de l’Etat français.

Pour revenir au cas de la France, la révolution française (1879) est déjà  l’œuvre des franc-maçons ; ils nourrissent une haine d’abord secrète, puis ouverte contre l’Eglise, et Jules Rocher (1882) et Jules Ferry n’en cueilleront que les conséquences d’une querelle longue entre l’Eglise et l’état civil.

 

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