09
Mar 2015
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Écrit par Administrator

Homélie de Mgr Christophe ZOA

Frères et sœurs dans la foi,

Nous venons de suivre le récit de Matthieu sur l’hypocrisie et la vanité des scribes et des Pharisiens. C’est un extrait bien connu et abondamment cité aussi bien par les fidèles que par ceux qui sont totalement étrangers à la foi chrétienne y compris ceux qui s’y opposent viscéralement, surtout quand il s’agit dénoncer une autorité ecclésiastique, religieuse ou civile dont on juge les pratiques contraire à l’enseignement qu’ils profèrent. Le fameux « pratiquez donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire. Mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent et ne font pas » du v. 3 est passé dans la sagesse profane comme une façon de distinguer la valeur morale d’une doctrine de la moralité de celui qui l’enseigne. Mais alors, est-ce là ce qu’il faut retenir de ce récit ? Surement pas, il y a bien quelque chose de plus fondamental qui n’est pas réductible à une simple morale sociale d’essence chrétienne, quelque chose qui s’inscrit dans l’ordre même de la mission chrétienne, que nous tenterons de mettre en évidence en associant à la lecture de cet évangile deux événements qu’il ma semblé important d’évoquer dans une eucharistie d’ouverture comme celle-ci, tel un décor qu’on plante à savoir, l’intérêt de ces assemblées et l’année consacrée à la vie consacrée.

S’agissant du premier point. Chaque année, les évêques des sept diocèses de la Province ecclésiastique de Yaoundé et leurs plus proches collaborateurs, vicaires généraux et chanceliers, se réunissent deux fois par an en assemblée de quelques jours dans un diocèse de la province pour évaluer et la qualité de la formation proposée dans nos instituts de formations, notamment les grands séminaires, et la pastorale menées dans les diocèses respectifs.

Les assemblées ordinaires de la CEPY font désormais partie de la tradition ecclésiale, une tradition qui, considérée à l’échelle de notre histoire ecclésiale particulière, commence à dater. De la même manière on voit croître année après année l’intérêt des fidèles pour leur organisation et pour ce qui s’y fait. Cela s’observe par exemple à l’accueil qui est réservé aux évêques et à leurs collaborateurs, depuis leur arrivée jusqu’à leur départ, à la participation aux relations qui sont faites, aux eucharisties qui sont organisées. On n’a pas, ou plus, le sentiment d’être en face d’une réalité dualiste avec d’une part l’institution, enfermée dans sa réalité, et de l’autre le reste de la communauté de foi, qui vit elle aussi sa réalité, et dont les préoccupations ne sont pas celles de celle de la hiérarchie, constituée à l’occasion comme une sorte de structure de démocraties parlementaires, qui adoptent parfois des lois contraires aux aspirations du peuple dont elles prétendent pourtant parler pour. L’Eglise n’est pas une démocratie, on n’a jamais cessé de le dire. Précisément, ce qui l’en distingue, c’est cette union de pensée et de prière entre l’institution et la communauté dont elle fait partie, qui montre que l’acteur ultime de tout ce qui se fait est l’Esprit Saint, et non les intuitions personnelles aussi brillantes soient-elles. C’est l’Esprit qui guide la communauté tout entière dans son exploration de nouveaux chemins de rencontre avec le Christ. Aussi, je salue avec reconnaissance la grande mobilisation des fidèles de l’archidiocèse de Yaoundé pour nous accueillir et pour avoir accepté de participer à cette eucharistie d’ouverture.

Cet intérêt ne se limite évidemment pas à ce qui est agréable. Au contraire, nous sommes très reconnaissants envers les critiques amicales qui sont faites, en partie sur l’efficacité des travaux de nos assemblées, et qui sont formulées ainsi : comment évalue-t-on l’efficacité des mesures prises ? Autrement dit, les six mois qui séparent une session de l’autre suffisent-ils à mettre en application de façon effective des mesures engagées, ou alors ce qui importe c’est d’avoir quelque chose à faire ? Est-ce que le passage d’un thème à un autre en un temps relativement bref n’est pas le signe de nombreux chantiers engagés mais qui ne finissent jamais comme ceux que nous voyons çà et là à Yaoundé ou ailleurs ? Quelle est l’efficacité réelle de la CEPY, sur le plan pastoral ? Dans un contexte marqué très souvent par des créations d’institutions sans pouvoir réel, où leur existence contredit leur essence et où leur essence ne transparaît pas dans leur existence, de telles questions ont leur importance et ne saurait être évacuée par une présomption de mauvaise intention de leur destinateur, bien qu’il y en ait aussi. Elles appellent à réfléchir sur les modalités du passage d’une instance consultative à un véritable Magistère local. Ce n’est pas une problématique dont on peut épuiser la réflexion dans un contexte comme celui-ci, mais on peut s’en tenir au thème choisi pour cette assemblée pour tenter une première réponse.

Nous avons décidé de consacrer cette assemblée ordinaire à l’amendement du directoire de la pastoral de la CEPY, en vigueur depuis 2002-2003. Conçu pour harmoniser la pastorale dans toute la province ecclésiastique, de la pastorale des sacrements à la formation des fidèles, ce texte a contribué de manière significative à recentrer plusieurs pratiques déviantes, en même temps il a encouragé l’intégration dans la célébration des rites de l’Eglise des formes culturelles propres de nos peuples compatibles avec sa foi, dans le but de favoriser une vie de foi cohérente. Pour certains donc, après dix c’est encore très tôt pour réviser ce texte. C’est une remarque légitime, mais qui ne doit pas nous entraîner sur le terrain d’un jugement de nos prédécesseurs. Le texte de 2002-2003 se tient et ses choix se justifient par rapport à la réalité sociale, religieuse et ecclésiale observée à cette époque. Mais nous vivons dans un monde où de plus en plus les réalités s’entremêlent, mais aussi où elles sont extrêmement mobiles. Ce qui appelle une très grande vigilance de la part de l’Eglise. Par exemple, la petite ville de Sangmélima a vu le nombre de nouvelles religiosités décuplées en moins de dix ans. Ça n’a pas été sans effet immédiat sur la liturgie et la pastorale des sacrements, notamment des sacrements des malades. On a vécu dont le phénomène d’une protestantinisation des pratiques aux fins de limiter l’hémorragie des fidèles vers ces nouvelles religiosités. Un problème de catéchèse liturgique et de catéchèse en général se posait avec acuité, qui nous a amené à l’occasion de convoquer tout un synode pour y voir clair. Voilà pour les raisons qu’on peut appeler extérieures. Mais à l’intérieur de l’Eglise elle-même, des sujets d’interrogation demeure, par exemple le glissement progressif de la catéchèse sacramentaire vers une forme de semi pélagianisme et qu’on rencontre fréquemment dans les catéchèses sur les sacrements de communion et de confirmation, etc.

Ces problèmes ne sont évidemment pas propres au diocèse de Sangmélima, nous les abordons sous l’angle que nous maîtrisons. Ils se posent partout dans la Province de la même façon, exigeant de l’Eglise une position stricte, ce que nous sommes engagés à faire en prolongeant ce qui avait été initié par nos prédécesseurs à savoir, définir de nouveaux caps et en renforcer les anciens de manière à exprimer clairement en quoi consiste croire en Jésus – Christ dans notre contexte. Il ne s’agit pas non plus de compliquer ce qui est simple, au risque de tomber dans l’attitude que le Seigneur condamne chez les pharisiens et les scribes à savoir, vous lier les de pesants fardeaux et en chargeant vos épaules des gens de ce que nous ne pouvons ni ne voulons remuer du doigt (Mt 23, 4). Nous n’agissons pas non plus pour nous faire remarquer des hommes (v. 5), et passer pour d’infatigables ouvriers dans la vigne du Seigneur, débordant d’énergie et d’initiatives. Nous ne pouvons pas simplement rester indifférent face à la perte progressive de l’ecclésialité au profit d’un esprit d’association et face au développement d’un vague mysticisme religieux qui se confond avec foi, au prétexte d’un intérêt pour le sacré mais qui dans le fond trahit une piété maladive qui enferme la personne dans l’illusion que la vie est guidée par des forces occultes et surnaturelles. Le prophète Osée disait : « mon peuple s’égare faute de connaissance », c’est bien de ce qu’il faut croire et comment le vivre qu’il s’agit. Notre projet au cours de cette CEPY trouve ainsi dans l’évangile de Matthieu que nous avons écouté s meilleure formulation à savoir, progresser d’une religiosité superficielle vers une foi réelle et réellement vécue.

J’ai annoncé dans mon introduction de parlée de cette année consacrée à la vie consacrée par le pape François. A première vue, les deux thèmes de la CEPY et de la vie consacrée peuvent paraître dissonants. Il n’en est pourtant rien. Que l’on l’évoque ici répond à une double intention. Premièrement, nous voulons dire aux religieuses et aux religieux toute notre reconnaissance pour leur engagement quotidien au service de l’Eglise locale. Un diocèse comme Yaoundé sait mieux que tous les autres diocèses de la Province Ecclésiastique à quel point l’apport des religieux est précieux pour le développement de la mission de l’Eglise. Nous ne disons pas non plus que ceux qui sont ailleurs sont moins importants. Nous voulons apprécier à sa juste valeur votre engagement et votre zèle, en vous assurant notre prière et notre bénédiction pour que vous continuer d’être ces hommes et ces femmes qui réveillent le monde, pour reprendre les paroles du pape François.

A ce propos, et dans un second moment, je vous redis toute la confiance que nous les évêques plaçons en vous. Un travail comme celui que nous sommes sur le point de commencer dès demain matin ne portera son fruit, un fruit qui demeure, qu’avec votre entière et totale participation. Pour cela, il faudrait quand même aussi dire en toute franchise qu’il y a des attitudes qui sont de plus en plus développées dans le milieu religieux et que, si elles n’étaient pas combattues, compromettraient gravement la bonne marche de la mission de nos Eglise. On peut en trouver plusieurs dans l’évangile de Matthieu que nous avons lu, mais je limiterai à évoquer les trois majeures: la désobéissance, la schizophrénie existentielle, et la recherche de la vaine gloire.

1)    La désobéissance

Saint Thomas, interprétant ce v.3. dit : « tout ce qu’ils vous diront, observez-le, à savoir, dans [votre] cœur, et faites-le, dans vos actes. Dt 17, 9 dit : Tu viendras vers les prêtres de la famille de Lévi et vers le juge, puis : Tu feras tout ce qu’ils diront ; vient ensuite : Tu suivras leur décision. Et l’Apôtre [dit] : Obéissez à vos supérieurs (Rm 13, 1). […] Il faut savoir qu’il faut toujours respecter l’autorité du législateur selon son intention. Or, le législateur dit que certaines choses doivent toujours être observées, et celles-ci doivent toujours être observées. » Un religieux qui ne sait plus obéir à ses supérieurs et qui justifie son attitude à partir des faiblesses humaines de ce dernier a perdu le sens de ce qu’il est. Parce qu’au-delà des personnes, c’est le Christ qui est présent, aussi bien dans les règlements qui régissent la vie de l’institut que les personnes qui les incarnent. Mais il est tout aussi important que les supérieurs montrent un bon exemple, qu’ils soient eux-mêmes cohérents (cf. François, Rencontre avec les séminaristes et les novices de Rome, 6 juillet 2013)

2)    La schizophrénie existentielle

Ensuite la schizophrénie existentielle. Le concept rappelle le tonitruant discours du pape à la curie romaine. L’attitude qu’elle exprime n’est pas cependant propre à la seule curie, on la retrouve pourtant bien développer ailleurs. Elle traverse l’ensemble du récit de Matthieu et peut même constituer sa synthèse. Je la vois aussi comme une forme de désobéissance diffuse, qui consiste à s’écarter des charismes des communautés, pour réaliser leurs propres ambitions. Le pape la désigne comme une maladie, comme les maladies de l’âme, de l’âme chrétienne. « La maladie de la schizophrénie existentielle, disait le pape François : c’est la maladie de ceux qui vivent une double vie, fruit de l’hypocrisie typique du médiocre et du vide spirituel progressif que les diplômes ou les titres académiques ne peuvent combler. Une maladie qui touche souvent ceux qui, en abandonnant le service pastoral, se limitent aux affaires bureaucratiques et perdent ainsi le contact avec la réalité, avec les personnes concrètes. Ils créent ainsi un monde parallèle à eux où ils mettent de côté tout ce qu’ils enseignent sévèrement aux autres et commencent à vivre une vie cachée et souvent dissolue. Pour cette grave maladie, une conversion est d’autant plus urgente et indispensable. »

3)    La recherche de la gloire

Enfin, la recherche de la vaine gloire. « En tout, dit le Seigneur, ils agissent pour être vu des hommes. » Saint Jean Chrysostome disait : « Enlève la vaine gloire chez les clercs, et tu élagueras tous les autres vices.» C’est valable pour tous. Pour Saint Thomas, la gloire « se manifeste par trois choses : par la préséance, par le respect exprimé et par l’éloge de leur nom, et par l’argent ajouterons-nous. « En effet, explique-t-il, celui qui recherche la gloire recherche une de ces choses ou toutes. » Ceux-ci recherchaient la préséance dans le lieu saint et dans les endroits ordinaires. Ainsi, pour les endroits ordinaires, [le Seigneur] dit donc : ils aiment à occuper les premiers divans lors des repas. En effet, ils voulaient occuper les premières places à table, à l’encontre de Lc 14, 8 : Lorsque tu seras invité aux noces, cherche la dernière place. Et il dit : ils aiment, car ce n’est pas l’autorité qui est reprochée, mais sa recherche désordonnée. Car certains occupent la première place de corps, mais, de cœur, ils sont cependant assis à la dernière place. Inversement, quelqu’un s’assoit à la dernière place afin qu’on dise : «Voyez comme il est humble», et ainsi, etc., mais [il s’assoit] de cœur à la première [place], parce qu’il cherche en cela la gloire. Ils cherchent aussi la préséance dans le lieu saint, dans l’église. [Le Seigneur] dit donc : et les premiers sièges dans les synagogues, à l’encontre de Si 7, 4 : Ne demande pas à l’homme la première place ni au roi un siège glorieux. » Il est évident que le Seigneur nous appelle à plus d’humilité : « Quiconque s’élèvera sera abaissé, et quiconque s’abaissera sera élevé. » Sans cette humilité, la mission est déjà un échec.

La recherche des honneurs est incontestablement le fléau qui menace le plus la vie religieuse aujourd’hui, et bien au-delà. Elle explique non seulement la schizophrénie existentielle dont il venait d’être question, les péchés envers la fraternité (vous êtes tous frères disait le Seigneur), mais aussi pourquoi aujourd’hui certains sont de moins en moins portés vers les périphéries en leur préférant les centres urbains. « Nous pouvons nous demander, suis-je inquiet pour Dieu, pour l’annoncer, pour le faire connaître? Ou est-ce que je me laisse séduire par cette mondanité spirituelle qui pousse à tout faire par amour de soi-même? Nous, consacrés, pensons aux intérêts personnels, à l’efficacité des œuvres, au carriérisme. Tant de choses auxquelles nous pouvons penser... Est-ce que je me suis pour ainsi dire « installé » dans ma vie chrétienne, dans ma vie sacerdotale, dans ma vie religieuse, dans ma vie de communauté aussi, ou bien est-ce que je conserve la force de l’inquiétude pour Dieu, pour sa Parole, qui me porte à « aller à l’extérieur », vers les autres? (cf. FRANÇOIS, Homélie pour la Messe d’ouverture du Chapitre général de l’Ordre de Saint Augustin, Rome, 28 août 2013. »

Chacun, et pas seulement les religieux peut se retrouver dans un des défauts brièvement brossés. En les évoquant en l’intention de nos très aimés religieux, nous voulions rappeler ce que disait le cardinal Joao Braz de Aviz, Préfet de la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée et des sociétés de vie apostolique, lors de la conférence de presse du 31 Janvier dernier : « la crise traversée par la société, l’Eglise, et donc la vie consacrée, n’est pas comme l’antichambre de la mort, mais comme un kairos, une occasion pour la croissance en profondeur et par conséquent, d’espérance. » Le temps de carême dont nous commençons la deuxième est là pour nous y aider aussi. Sans ce renouvellement, une initiative comme celle que nous commençons aujourd’hui à savoir l’amendement du directoire de la pastorale de la CEPY ne portera aucun fruit. Le Seigneur a besoin de nous pour faire entendre sa parole partout dans l’espace de notre conférence, et il a besoin que nous nous donnions tout totalement.

Loué soit Jésus-Christ !

 

 

 

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