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Écrit par Administrator

Réflexion de la Journée sacerdotale 2015 : Jeudi  le 26 Mars 2015 à Mvolyé

Excellence Monseigneur Jean Mbarga, Archevêque Métropolitain de Yaoundé, Nos Seigneurs les Vicaires Généraux, Les Chapelains de sa Sainteté, Révérends Pères,

Permettez-moi d’abord d’exprimer toute ma gratitude à Notre Père Archevêque qui m’a permis de conduire cette réflexion dans le cadre de notre traditionnelle journée sacerdotale. Une journée sacerdotale est un moment très important dans la vie d’une Eglise locale. Moment de synergie, de prière, de communion, de célébration et d’engagement renouvelé, cette journée contribuera bien évidement à nous refaire tant spirituellement que pastoralement. D’abord, elle concourra à redéfinir les priorités de notre ministère pastoral dans l’Archidiocèse de Yaoundé en ce temps de synode, à répondre aux appels de notre sacerdoce, et à renouveler notre engagement ministériel. Ensuite, elle permettra de réarmer nos convictions, nos valeurs et nos catégories chrétiennes et sacerdotales. Enfin, elle est une mise en route de notre temps du carême quoique nous nous acheminions inéluctablement vers sa fin.

Le thème choisi pour meubler notre rencontre est le suivant : « Carême, temps de conversion, en vue de faire de nous-mêmes (les prêtres) des hommes nouveaux ». Le choix d’une telle thématique est d’autant plus actuel car fait suite aux préoccupations du Saint Père exprimées dans sa lettre de carême 2015 où il nous invite à un renouveau ecclésial, communautaire et personnel. En effet, depuis le 18 février de cette année, nous sommes bel et bien entrés dans le temps du carême et vivons cette austérité à travers la pénitence, la prière et le partage. Comme tel, ce temps nous interpelle, nous qui avons reçu le sacrement de l’ordre. Comment vivre véritablement notre carême en tant que prêtres ? Comment répondre aux appels du carême dans notre vie sacerdotale ? Quelle est l’opportunité d’une telle période pour notre ministère sacerdotal ? Quels en sont les fruits et les bénéfices que nous pouvons récolter en tant que ministres ordonnés ?

La tâche qui m’a été dévolue est donc d’apporter plus de lisibilité, de clarté et de lumière à cette thématique ; d’en saisir tous les contours et d’en dégager les aboutissants pour un agir pastoral conséquent, efficient et efficace. Pour y arriver, j’ai choisi un texte évangélique qui saura bien encadrer notre réflexion. Il s’agit du texte dont la résonnance spirituelle et pastorale en temps de carême n’est plus à démontrer : les tentations de Jésus au désert (Mt 4, 1-11). Nous allons tirer profit des différents paramètres présent dans ce texte pour pouvoir engager la question de la conversion et du renouvellement sacerdotal dont la thématique de ce jour se fait l’écho.

Il est évident que, tous consacrés et non, sommes appelés pendant ce carême à recentrer nos vies sur des réalités spirituelles de notre héritage chrétien telles que : l’eucharistie, la méditation de la parole de Dieu, la croissance dans la vertu, l’application de l’amour du prochain, la demande et l’effort de la réconciliation, l’ordonnancement de nos vies vers la promesse eschatologique présente dans la résurrection de Jésus et l’assomption de la Vierge Marie. Des telles exigences se présentent à nous au quotidien, mais elles doivent se vivre de manière plus radicale et d’une façon authentique durant le temps du carême et surtout par ceux à qui revient la lourde responsabilité de conduire et d’aider le peuple pendant ce temps de grande valeur spirituelle, morale, et pastorale.

Pour mener à bien notre réflexion, nous l’avons divisé en deux points. Le premier point traitera des appels du Carême, c’est-à-dire, ce dont nous avons besoin, en nous inspirant du texte évangélique des tentations de Jésus, pour réussir notre carême en tant que prêtres. Le deuxième point nous introduira aux implications sacerdotales de ces appels du carême, c’est-à-dire, ce sur quoi doit reposer l’agir et la mission du prêtre au regard du même texte évangélique.

I- Les Appels du Carême et renouvellement spirituel du prêtre

Le carême est un moment important de la vie et de la liturgie chrétienne. Ce temps connait un succès dans sa pratique religieuse qui repose sur les faits d’arme qui ont concouru à son intégration dans la grande liturgie chrétienne. Historiquement, le carême commence à se célébrer deux siècles après Jésus Christ. En effet, les chrétiens voulant récolter d’abondants fruits spirituels à Pâques, considérée comme la mère de toutes les fêtes, ont introduit trois jours de préparation, de prière, de réflexion et de jeûne pour exprimer leur peine et désarroi suite à la mort du Christ.[1] Cette période de trois jours n’étant pas assez pour pleurer et préparer la commémoration de la mort et de la résurrection du Christ, ces chrétiens du second siècle vont la prolonger jusqu'à quarante jours.

Le choix fut porté sur le chiffre quarante pour s’arrimer à la numérique biblique. Le nombre «Quarante» et ses multiples dans les traditions anciennes expriment une période de longue préparation, une abondance en grâces et en bienfaits. Le peuple juif lui donnera une signification beaucoup plus religieuse avec les expériences du déluge (40 jours et nuits), la grande traversée du peuple juif au désert (40 ans), l’appel à la pénitence adressé aux habitants de Ninive (40 jours), la retraite de Moise à la montagne (40 jours et nuits : Ex 34, 38), la marche d’Elie pendant quarante jours et nuits, la retraite de Jésus Christ au désert pendant quarante jours et nuits (Mt 4, 2),et les témoins de la multiplication de pain, 4000 environ (Mc 8, 9).

Au regard de ce qui précède, Il apparait clairement que nous devons attacher moins d’importance à la valeur numérique qui accompagne le temps du carême, l’intérêt doit se tourner vers les appels du carême, qui sont des points d’encrage nécessaires à une vie sacerdotale réussie et épanouie. En d’autres termes, le prêtre ne fait et ne vit pas son carême en se focalisant d’abord sur le calendrier comme le ferait n’importe quel chrétien, plutôt il utilisera les exigences et les appels du carême pour se renouveler spirituellement et pastoralement constamment même en dehors du dit temps.

1- Le Désert

L’un des enseignements de l’évangile est que Jésus se retirait régulièrement pour prier. La retraite fut une composante essentielle de son ministère. Il se retirait pour que son ministère gagne en intensité et reste fidèle à la volonté de Dieu. Ce n’est pas par loisir qu’il effectuait ses retraites. Il les faisait parce qu’il en ressentait la nécessité et cela lui permettait de mieux assumer sa mission. Notre ministère sacerdotal est un apprentissage et une assimilation à cette vie de retraite de Jésus. Seul ou en groupe, le prêtre doit constamment vivre l’expérience de la retraite comme Jésus. Cette retraite peut s’effectuer à travers le silence pour s’écouter, se relire, se porter des critiques et surtout pour approfondir sa vie spirituelle. Il peut aussi la vivre dans les lieux de retraite comme le désert.

L’un des appels les plus pressants du carême est effectivement le désert. Le désert comme lieu de sécheresse et de ralentissement de l’activité vitale a toujours captivé l’imagination des Juifs et Chrétiens depuis la grande expérience juive de la traversée du désert si bien qu’il est devenu un symbole fort de la spiritualité et de l’héritage chrétien. A la suite de cette expérience, sa pratique s’est répandue à travers différents canaux. Du désert géographique et environnemental en passant par le désert de cœur, le désert de la solitude, et le désert du silence, l’expérience religieuse chrétienne s’est construite autour de cette réalité. Elle a su donner au désert toute son importance, sa valeur transcendantale et sa vitalité spirituelle dans notre société en proie à l’anxiété et à un certain relâchement spirituel.

Pour le prêtre, le désert s’impose à lui comme non seulement un moment de renouvellement spirituel, mais aussi comme un moment d’évasion pastorale. L’activisme pastoral nous vide, nous fragilise et nous tue. Les exigences de la pastorale font en sorte que nous n’ayons pas de temps d’arrêt. Le prêtre a besoin des moments d’inactivité, d’absence de parole et de compagnie pour que son travail puisse être créatif, sa parole sage, son contact avec les autres gentil et compassionné.[2]

Acculé de toute part par les sollicitations diverses, par les sons de la modernité, par le trafic et le flux des idées et de la culture qui diluent notre conscience, le prêtre doit constamment puiser dans cette expérience pour se maintenir et s’assumer. Le désert est un temps à soi. Il devient une chance pour lui car il permet de maintenir en balance toutes les énergies de son existence. C’est un temps qui permet au prêtre de créer un rythme qui lui évite de verser dans la monotonie, la lassitude et la fatigue pastorale. C’est une démarche d’intériorité profonde car non seulement il l’aide à se concentrer sur ce qui lui correspond bien, mais plus encore sur les intentions de Dieu.

Il est évident que lorsque nous regardons l’histoire de l’appel des premiers disciples, le désert en constitue une composante très importante et déterminante de cette mise en route. En effet, c’est au sortir de cette épreuve d’âpreté de la vie et du renoncement que Jésus a appelé les premiers disciples qui devaient être les intendants de ses enseignements et les instruments de relais de sa mission. Il s’est agit d’une démarche de discernement qui est un préalable à toute activité pastorale. Le prêtre a besoin de vivre cette expérience du désert pour un discernement pastoral efficient et efficace. Il a besoin de s’interroger, de se remettre en question, de peser et soupeser les possibilités, les priorités et les actions de son ministère. Il le fera d’une manière efficiente si et seulement il profite des entrées en désert qu’il s’offre et lui offre le temps liturgique comme le carême.

Le désert est aussi la voie royale du disciple qui se met à la suite de Jésus-Christ. C’est une voie où le disciple prend plusieurs engagements  tels que: le risque, l’amour et le deni de soi. De fait, c’est au désert du carême que le prêtre peut véritablement vivre l’ascétisme du risque si cher à son ministère pastoral. Le risque dont il est question n’est nullement la stupidité dont pourrait faire preuve une âme inconsciente des dangers qui la guettent, il est la confrontation et la réponse que chaque prêtre doit exprimer face à l’invitation de Jésus : « viens, suis-moi » (Jn 1,43). Cette confrontation et réponse exigent de lui, de laisser de côté ses propres plans, ses projets personnels, les orientations préalablement définies de sa vie, et ses aspirations les plus légitimes pour se mettre au service du prochain, et d’une demande plus large. Le « viens, suis-moi » de Jésus-Christ durant le temps du désert doit être porté à sa plus haute expression. Le prêtre fera de cette exigence une constance qui corresponde à sa vocation. Il l’en racinera dans son agir et l’harmonisera avec la vie de l’Eglise.

C’est aussi au désert du carême que le prêtre vivra véritablement l’ascétisme de l’amour dont le Christ s’est fait l’exemple. L’amour dont il est question va au-delà de toute appréhension physique et sociale des réalités temporelles (musique, culture populaire, littérature, gestuelle et toucher, dons et signes du don). Il s’agit pour le prêtre d’entrer dans la dynamique du pardon, de la renonciation au pouvoir de subjugation, de domination et au cléricalisme de tout bord. Cet ascétisme de l’amour fait du prêtre un pur don de la mission évangélisatrice, un champion de la culture alternative (qui dit non au pouvoir, à la décadence et l immoralité ambiante), un héros de la fidélité et de l’engagement évangélique tel que présenté par les paraboles du bon samaritain et de l’enfant prodige, bref un témoin authentique de l’Eglise.

C’est également au désert du carême que le prêtre s’initiera véritablement à l’ascétisme du déni de soi, cette exigence spirituelle de renforcement de notre pratique des conseils évangéliques à savoir pauvreté, obéissance et chasteté. Il est victoire de la super nature sur la nature.[3] L’ascétisme du déni de soi est renonciation aux manières de faire, d’agir, et de penser qui s’opposent à la foi et à la morale chrétienne. Il est rejet du confort personnel, de toute forme de dépendance, et de consommation sociale. Il est recherche de la paix, l’équilibre, discipline intérieure et spirituelle.

2-La Solitude

C’est une disposition centrale dans la vie du prêtre et de la communauté. Elle est la clé pour devenir pleinement une personne humaine et spirituelle. Considérée à tort ou à raison comme une contre valeur de la communauté, comme son opposé, la solitude est une composante essentielle de la vie du prêtre car elle participe à son renouvellement spirituel. Elle est l’opposé de l’isolement qui est contre valeur sociale et chrétienne. Le prêtre qui fait l’expérience de la solitude se renforcera spirituellement. Sans elle, le prêtre coure le risque de tomber dans le conformisme et les nocives et compromettantes relations de dépendance, d’échouer de se découvrir, à découvrir et à répondre à ses dons, de verser dans l’illusion, de développer des relations mécaniques, et de vivre dans l’absence totale du mystère. Or comme le souligne le théologien allemand Joseph Matthias Scheeben « en renforçant le mystère, l’Eglise se renforce également, en rationalisant le mystère, l’Eglise se rationalise ».[4] La solitude nous évite de libéraliser notre agir pastoral, elle nous aide à le super naturaliser. La solitude libère le prêtre de toutes sortes d’attachements, de prétentions et des fausses sécurités religieuses, sociales et culturelles. Elle est retraite des préoccupations mondaines et relativistes. Elle est dépendance totale à Dieu, immersion totale dans le mystère et la contemplation.

Elle est la place de la confrontation de nos démons (sexisme, exhibitionnisme, carriérisme, paresse, individualisme, syncrétisme, rationalisme, et relativisme, etc). Certes le prêtre est un homme du monde, il vit dans ce monde et est sujet des dérives et menaces de ce monde. La grande particularité de notre société est qu’elle vit au rythme de la vitesse et du bruit. Face aux assauts répétés de cette vitesse et de ces bruits, à la saturation et bombardement médiatique, à la pollution sociale, aux harcèlements de la culture moderne sur notre mode de vie, aux dysfonctionnements de notre culture, aux assauts répétés de la violence directe ou indirecte sur nous, aux déceptions de notre cœur, aux illusions de notre esprit, aux crises dont fait face notre sacerdoce, la solitude se présente à nous comme voie royale de salut, comme un antidote. La solitude entraine le prêtre dans la connaissance de soi. Elle dissipe ses doutes. Elle lui apporte la force nécessaire de tenir face aux exigences de la mission et l’entraine vers la voie et la recherche de l’authenticité.

Le prêtre se nourrit aussi des valeurs et contre valeurs de la société moderne et post moderne. Il est à la merci de toutes les idéologies et philosophies sécularistes, matérialistes, individualistes, anthropocentristes, et relativistes. Face a tous ces dangers qui menacent son agir pastoral, la solitude se présente a lui comme la voie de la différence, de l’intériorité, et de la transformation car elle nous fait dépasser les frontières de l’expérience humaine pour nous engager véritablement dans le Sublime, le mystère et la contemplation.

L’une des grandes incidences du désert et de la solitude est la réfutation de l’idéologie de l’image. C’est une idéologie qui fait suite à l’émergence des nouvelles technologies de l’information et la culture (NTIC). La télévision, le téléphone, l’internet font désormais partie de l’univers du prêtre et influencent d’une manière positive ou négative sa vie. Le rapport que le prêtre entretient avec NTIC doit être modéré et relatif. Face aux dérives et abus constatés quant à l’utilisation de ces technologies et à l’effet dévastateur de cette idéologie de l’image, le désert et la solitude apparaissent comme des pratiques nécessaires d’assainissement de l’idéologie de l’image parce qu’il renforce la pratique de l’oraison, de la prière mentale, et surtout de la lectio divina.

3-La Proclamation et méditation de la Parole de Dieu

L’une des grandes victoires du désert est la proclamation de la parole de Dieu. Sans proclamation de la parole de Dieu, le désert devient le lieu de l’aridité, de la folie, de la futilité, des agitations humaines et de l’inaction. Certes, le prêtre part au désert pour s’écouter, mais beaucoup plus pour écouter et méditer la parole de Dieu. Le désert n’est nullement une expérience de repli de soi, d’isolation, d’enfermement sur soi. Au désert, le prêtre ne doit pas être seul, il doit avoir un compagnon : la parole de Dieu. Il doit être en dialogue avec les Saintes Ecritures qui lui permettent d’éviter tout errement, toute fantaisie, et toute superficialité. Le prêtre entre dans le désert avec la parole de Dieu ayant pour souci de mieux la saisir, la pénétrer et l’appliquer sur soi-même et sur les autres.

Le désert est le lieu de prédilection ou Dieu nourrit son peuple. C’est au désert du Sinaï que le peuple Hébreux fut nourri à la manne du Seigneur. C’est également au désert que la multiplication des pains a lieu (Mc 6, 32-35 ; Mt 14, 13 ; Luc 9,12). Le désert devient un lieu où l’on reçoit la nourriture de la parole de Dieu. C’est le lieu ou l’esprit humain est nourri de la révélation divine. L’expérience du désert doit aboutir à la proclamation renouvelée de la parole de Dieu. Jésus nous en montre l’exemple. Après sa grande expérience du désert, il retourne à Nazareth plein d’Esprit Saint, et le jour du sabbat, il s’oriente vers la synagogue pour la proclamation et l’accomplissement de la parole de Dieu (Lc 4, 21). Pour Jésus le désert a été le lieu d’immersion dans la parole de Dieu. Il est vrai que depuis sa prime enfance il a été nourri et bercé par cette parole de Dieu, mais l’expérience du désert devient donc le lieu d’un engagement pastoral renouvelé.

Le prêtre qui s’engage dans le désert aura à cœur de se renforcer spirituellement par l’écoute et la proclamation de la parole. Au désert du carême, le prêtre n’entrera pas en contact avec la parole comme s’il allait rechercher juste la matière pour une homélie comme il le fait chaque jour, mais plutôt comme la samaritaine qui a soif et faim de cette parole qui a pris corps en la personne de Jésus. Il l’abordera pour qu’elle ait un enjeu dans son âme et son ministère pastoral, pour qu’elle apporte la clarté et la sécurité dans sa vie. Cette parole lui permettra d’entrer véritablement et de faire corps avec les sacrements qu’il confère aux fideles. Elle le conduira à la conversion qui fera de lui un authentique ministre de l’évangile et de l’action sociale.

II- Les implications pastorales des appels du désert

Le carême doit nécessairement enrichir le prêtre et l’aider à se renouveler pastoralement. Le carême nous permet de lutter contre les dangers qui se présentent à nous et dans notre ministère sacerdotal. Dans l’évangile de Matthieu 4, 1-11, les tentations de Jésus, il nous a donné un exemple fort des choses qui peuvent déranger le prêtre pastoralement à savoir : le pouvoir, l’avoir, et la gloire.

1- Le Pouvoir

L’un des dangers qui menacent notre ministère sacerdotal est l’utilisation du pouvoir. Le pouvoir est une fonction de dérogation accordée à un individu pour réguler le vivre ensemble et assurer l’épanouissement de tous. Cette fonction peut être politique, économique, juridique, sociale, et religieuse. Elle utilise les moyens de coercition comme l’armée, les forces de l’ordre, et les milieux carcéraux. L’une des grandes contributions du concile Vatican II a été de redéfinir la notion de pouvoir comme participation de tous à l’autorité de Jésus Christ qui est service. Nous avons tous une parcelle d’autorité dans nos familles, nos presbytères, nos services centraux, nos facultés académiques, nos écoles et collèges, quelle est l’utilisation que nous en faisons ?

Le carême nous invite à nous interroger sur la manière dont nous gérons le pouvoir qui nous est confié par l’Eglise. Le constat que nous faisons est qu’il y a un glissement de cette notion dans la pratique pastorale. La manière dont nous exerçons ce pouvoir ne rend pas témoignage au service évangélique, à la charité chrétienne, et à la justice sociale. Nous citons pour preuve les relations exécrables entre certains prêtres : entre curés et ses prédécesseurs, entre curés et vicaires, les conflits entre les agents pastoraux, entre aumôniers et regroupements associatifs, entre curés et fidèles.

Face à tous ces conflits lies à notre gestion du pouvoir, le carême nous invite à exercer un leadership et une liturgie de collaboration. La collaboration dont il s’agit ici est l’une des plus grandes exigences du concile Vatican II et du ministère pastoral aujourd’hui. Elle semble une nouveauté, une innovation des études de management et de la psychologie moderne, mais en fait elle ne l’est pas. Elle s’enracine dans la tradition chrétienne avec la formulation trinitaire et surtout l’appel des premiers disciples. Elle repose sur le dynamisme et la transformation des structures et des individus. Le prêtre doit collaborer avec tous les agents pastoraux consacrés ou non car c’est une exigence de sa mission et une stratégie pastorale efficace.

Pastoralement, le leadership de collaboration est cette volonté de coopérer avec tous les agents pastoraux de la mission du Christ. Elle est la participation de tous dans la construction de la communauté chrétienne. Elle est mise en commun de toutes les ressources humaines au service du royaume de Dieu. Elle est recherche de la vitalité ecclésiale dans tous les courants et segments de la vie sociale. Elle est pratique de la bonne ecclésiologie de communion. Elle est création de la vraie communauté des disciples. C’est le chemin qui nous permet de prendre conscience de la présence de Dieu en nous et en d’autres. Nous devons collaborer avec les autres non pas seulement parce que c’est une exigence de management, mais primairement parce que cela reflète mieux la vie intérieure de Dieu de qui nous sommes l’image. La vie de l’Eglise est le reflet de l’image de la Trinite, c'est-à-dire, une vie de communion d’amour, une vie de mission bien définies mais qui sont liés.

La collaboration doit être manifeste entre les différents agents pastoraux de notre Eglise locale. Le carême peut nous permettre d’affiner nos relations entre prêtres religieux et diocésains, entre les équipes pastorales et les différentes congrégations religieuses féminines ou masculines présentes dans une paroisse, entre les prêtres et les sœurs. Elle doit être manifeste au niveau des pôles et zones de notre diocèse, au niveau de la solidarité inter paroissiale, et de la synodalité diocésaine et surtout au niveau des regroupements provinciaux et nationaux. Elle nous invite à respecter les grands rendez-vous de la communion ecclésiale tels que les quêtes imperées.

Une plus grande collaboration doit se manifester également par la fidélité aux promesses faites à l’évêque. Certes, le prêtre est le signe et l’agent de l’unité, une unité dans la diversité de l’Eglise locale. Mais c’est l’évêque, selon l’enseignement de Vatican II qui est, « la source et le fondement visible de cette unité dans une Eglise locale ». L’évêque représente l’Eglise locale dans son lien d’amitié, de paix, d’amour et d’unité avec les autres Eglises locales.[5] Notre identité de prêtre est liée à celle de l’évêque. Nous sommes des collaborateurs de l’évêque. Le carême devient pour nous prêtres, le moment ou s’exprime sa communion personnelle à l’évêque. Il est le temps qui nous est donné pour grandir dans l’amitié et la collaboration avec l’évêque, ses directives et son action pastorale. Pendant nos années de formation au Grand Séminaire de Nkolbisson, notre recteur devenu actuel Archevêque de Yaoundé le disait si bien  « Il n’ ya pas de prêtres autocéphales », c’est-a-dire, il n’y a pas de prêtres sans évêques, vivre la communion personnelle et ecclésiale avec notre évêque est une exigence de la bonne pratique ministérielle.

Cette exigence de collaboration à l’évêque doit être porté à tous les niveaux de la pastorale : la sacramentelle, le sociale, l’économie, et la liturgie. Il faut toujours recourir à l’évêque pour ce qui nécessite son accord. Elle doit aussi se manifester dans la répercussion des directives et convocations de l’évêque. A titre d’exemple, aujourd’hui notre archidiocèse vit au rythme du synode convoqué par son évêque. La collaboration de tous les agents pastoraux y est demandée. Malheureusement, cela n’est pas le cas. Certaines de nos paroisses et communautés ne communiquent pas assez sur le synode, la prière du synode n’y est même pas récitée au cours des célébrations eucharistiques. La collaboration à laquelle le carême nous invite est l’effectivité de la symbiose et la synergie des différentes composantes de la vie pastorale de notre diocèse avec l’évêque. Elle nous invite à resserrer les rangs autour de notre notre Père Evêque.

2-L’avoir

La recherche et la course de l’avoir constituent l’un des dangers qui menacent notre ministère sacerdotal. Le matérialisme avec tous ses avenants à savoir affairisme, clientélisme, corruption, népotisme, hédonisme, exhibitionnisme représente la menace la plus nocive de notre ministère pastoral. Il est vrai que Jésus n’était pas un ascète radical comme Jean Baptiste, car il a accepté la compagnie des riches et pauvres, il a mangé à leur table, il a accepté d’être oint par un parfum couteux, mais il est aussi évident que l’avoir n’a pas été le fondement de sa mission. Sa mission première a été la proclamation de l’évangile et l’appel à la repentance. L’avoir, le matériel, les soucis du corps, les affaires n’ont été que secondaires à sa mission. De même, l’avoir doit être secondaire dans notre mission. La grande crise dont fait face notre sacerdoce est liée au déplacement de priorité et d’objectif qui s’est glissé dans notre mission sacerdotale. Notre mission première est de conférer les sacrements, de prêcher l’évangile, d’enseigner la foi, et de conduire les âmes au Christ et au salut eternel et non de posséder et déposséder les gens et les structures.

L’Eglise s’est toujours montrée suspicieuse de toute pastorale et théologie qui cherche à transformer l’évangile en un pur socialisme, un messianisme terrestre, et une économie de fortune (théologies de la libération dans toutes ses composantes : africaine, Sud américaine, indienne, et même le féminisme), bref en une utopie (le Christ n’a pas changé la situation de tous les pauvres, veuves et lépreux d’Israël, il l’a fait juste pour certains). Comme le souligne d’une manière forte le Pape François dans Evangelii Gaudium, paragraphe 55, le danger de l’avoir, du matériel et des affaires est qu’il nous plonge dans l’illusion, l’idolâtrie et le fétichisme de l’argent, la négation du primat de l’être, l’adoration de l’antique veau d’or, la dictature de l’économie sans visage humain, la fausse sécurité, la distraction et l’ indépendance religieuse et dogmatique.[6]

Certes l’avoir et le social font partie des premières préoccupations de l’évangile et de l’Eglise, mais elles ne sont pas premières au kérygme. Alors faire les affaires, c’est mettre l’avoir et le matériel avant le kérygme. Heureusement que l’évangile du troisième dimanche de carême année B où Jésus s’en prend aux vendeurs et aux marchands du temple se présente à nous comme une dénonciation de ce lien entre le temple et le comptoir, entre la religion et les affaires, entre la foi et l’affairisme. Pour un renouvellement authentique de notre être de prêtre, nous devons nécessairement revoir, réexaminer notre relation à l’avoir, au matériel et aux affaires.

L’avoir dans l’esprit évangélique peut aussi être pensé en terme de relations à la gente féminine. Les femmes bien qu’elles soient si actives et présentes dans notre ministère, font partie des choses qui dérangent le prêtre. Elles nous trompent, nous font le chantage, nous humilient, nous dépossèdent, nous chosifient, nous trahissent et avilissent. Tout en établissant des relations saines, courtoises, prudentes, et respectueuses avec elles, méfions- nous en.

3-La Gloire

Une nouvelle culture s’est installée dans notre pastorale, celle de la gloire. La gloire c’est le désir d’affirmation et le souci de se faire remarquer publiquement. C’est la recherche de la reconnaissance sociale et du lucre, c’est l’extravagance pastorale. C’est une forme d’orgueil ; or l’orgueil est une accentuation de l’individualisme et de l’égoïsme, une crise d’identité, une acidité évangélique. Le prêtre est un homme de l’intériorité, un homme de l’effacement et de la réserve. Il doit faire attention à ce qu’il ne soit pas un signe d’ostension et de la mondanité. La recherche de la gloire fait partie des choses qui dérangent la vie du prêtre car elle l’installe dans la vanité, désoriente son engagement et son agir pastoral.

Etre prêtre c’est être sensible à la présence de Dieu et à la présence des autres, c’est-a-dire, être connecté à la réalité et au mystère. Cette double attention doit se manifester dans les attitudes, l’habillement, la parole, la prédication, la présidence, l’administration, bref dans son action pastorale. Le prêtre ne peut pas être comme « monsieur tout le monde » dans son style de vie et sa tenue vestimentaire. Il évitera que sa mise et son style de vie concourent à communiquer des messages confus et contradictoires sur son identité de prêtre. Il s’abstiendra de verser dans les insanités, l’immodestie vestimentaire, l’impureté, un discours impudique, diffamatoire et blasphématoire, et des actions scandaleuses.

Le prêtre est un témoin qui accepte de servir le Christ et l’Eglise pendant tous les 24 heures de la journée et les 7 jours de la semaine. Il n’ya pas de secondes, d’heures ou de jours ou nous ne sommes pas prêtres. Nous sommes dans une vocation qui sert le Seigneur tous les jours de notre vie et non dans une profession à temps partiel. Cela veut dire que nous ne pouvons pas à des heures perdues de notre emploi du temps, ou dans nos moments d’évasion et de distractions nous comporter autrement et changer d’identité. Le prêtre est le signe de la contradiction dans un monde perdu dans le péché et la rébellion contre Dieu. Il doit le rester au presbytère, à la rue, en famille, et dans les milieux socioprofessionnels et académiques. Nous attendons de lui qu’il apporte la joie, la paix, la foi, l’enthousiasme missionnaire qu’offre ce temps de carême.

Abbé Paul Engoulou Nsong, Archidiocèse de Yaoundé

Curé de la Paroisse Mixte Saint Benedict Ekounou

Professeur de théologie systématique à l’UCAC



[1] Fernando Armellini, Celebrating the Word: Year B, Commentary on the Readings, Kenya: Paulines, 1993, 67.

[2] William H. Shannon, “Priestly Spirituality: Speaking out for the Inside” in The Spirituality of the Diocesan Priest, ed. Donald B. Cozzens, Collegeville, The Liturgical Press, 1997.

[3] Johann Adam Mohler, The Spirit of Celibacy, Chicago: Hillenbrandbooks, 2007, p. 76.

[4] Joseph Matthias Scheeben, The Mysteries of Christianity, New York: A Herder&Herder Book, 2006, 17.

[5] LG, 23.

[6] Evangelii Gaudium, 55.